Publics et réceptions des arts numériques : enquête sur « Chroniques », la biennale des imaginaires numériques

« Chroniques », également nommée « Biennale des imaginaires numériques », organisée par Seconde Nature/Zinc, est un événement incontournable de la diffusion de la culture numérique, en région Sud. Après une première édition en 2018 sur la thématique de la Lévitation et une deuxième en 2020 sur le thème de l’Eternité, « Chroniques » investi le sujet de la Nuit du 10 novembre 2022 au 22 janvier 2023, entre Aix-en-Provence, Avignon et Marseille.

Au programme : des expositions, des installations, des concerts, des performances et des œuvres installées dans l’espace public, avec comme point commun la culture numérique, autant dans les méthodes employées par les artistes que dans les contenus exprimés par les œuvres et poussant les publics à la réflexion sur leurs propres pratiques numériques.

© « Cloud », Caitlind R.C. Brown & Wayne Garrett

© « D’un soleil à l’autre », Stéphane Thidet

« Chroniques » constitue le terrain d’enquête d’une recherche empirique que nous menons sur les arts numériques, spécifiquement sur les arts numériques interactifs et immersifs, qui selon nos hypothèses, contribuent à renouveler les publics et les réceptions des arts et de la culture. En effet, en fonction de leurs implications variables et relatives aux œuvres, les publics sont amenés à ne pas uniquement adopter une posture contemplative mais à interagir, participer à la production de l’œuvre et être plongés dans des univers artistiques spécifiques créés à partir d’outils numériques et de programmes informatiques. Du fait de leurs caractéristiques interactives et immersives, les œuvres permettent ainsi aux publics de vivre des expériences inédites et implicatives, par exemple dans « Cloud », où les participants sont invités à allumer ou éteindre eux-mêmes les ampoules qui constituent le grand nuage blanc au-dessus de leurs têtes. Certaines de ces expériences font la une pour leur caractère à la fois novateur et grand public, comme « Sparks », une installation de dizaines de milliers de bulles de savon éclairées dans la nuit par des faisceaux de lumière colorées et présentée comme une alternative numérique et écologique aux feux d’artifices.

© « Avancées immobiles », Olivier Ratsi

© « Positevly charged », Kasia Molga

Cette recherche intitulée « Arts numériques interactifs et immersifs. Approche sociologique de la réactualisation des expériences réceptives : le cas de la biennale des imaginaires numériques », s’inspire considérablement du travail fondateur de Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler au musée Granet d’Aix-en-Provence (1987), restitué dans l’ouvrage récemment réédité en accès libre Le temps donné aux tableaux (2019, première éd. 1991). A l’instar des deux sociologues nous opérons une ethnographie qualitative et quantifiée des visites de la biennale que nous couplons à la passation d’un questionnaire. Plus précisément, nous suivons les visiteurs, chronométrons le temps accordé à chaque œuvre, détaillons les émotions exprimées, comptabilisons et décrivons les interactions, les mouvements, les échanges devant les œuvres, avant de faire passer un court questionnaire sur la réception des œuvres, sur le rapport des publics aux arts, particulièrement numériques, ainsi que sur des variables classiques telles que l’âge, le genre, le dernier diplôme obtenu, la profession exercée ou encore le lieu d’habitation.

Les objectifs de l’étude sont multiples. Il s’agit d’analyser les œuvres interactives et immersives de la biennale, d’élaborer des profils types de publics et de dégager des formes de réception spécifiques aux arts numériques. L’intérêt sera finalement de croiser l’ensemble de ces résultats afin d’observer si les publics et leurs expériences réceptives se modifient, se réactualisent en contexte d’expositions d’arts numériques, notamment en les comparant avec d’autres enquêtes sur les pratiques culturelles ou même les visites de lieux de diffusion plus traditionnels, tels que les musées.

Cette recherche comporte également un enjeu méthodologique. Inscrite dans les ambitions de l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture, notre enquête basée sur les principes de la recherche/action, entend être au service de la société civile, en mettant à disposition ses méthodes et ses résultats. Les techniques employées constituent en effet une forme d’exploration, de ce qu’il est envisageable et possible de faire dans le cadre d’une biennale et particulièrement d’expositions d’œuvres arts numériques. L’intérêt sera alors, de développer, d’améliorer le protocole pour en faire quelque chose de réplicable lors d’événements dédiés aux arts numériques.

 

NB : un billet à venir sur la restitution de quelques résultats de l’enquête.

 

par Matthieu Demory
Docteur en sociologie, Aix-Marseille Université, CNRS, Science Po Aix, MESOPOLHIS


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