La petite Bourges, Capitale européenne de la culture 2028

Panorama de la ville de Bourges (source : Shutterstock)

Ce n’est plus qu’au Printemps[1] que vous allez entendre parler de la ville de Bourges, décrétée Capitale européenne de la culture (CEC) 2028 ce mercredi 13 décembre. Le jury, composé d’un panachage de nationalités européennes[2], a choisi de décerner le titre très prisé à la plus petite parmi les candidates, celle qui avait « le plus petit budget et la plus petite équipe ». Le chef-lieu du Cher, comptant 66 000 habitants, est une ville « à taille humaine, où il fait bon vivre », comme l’affirme le dossier de candidature qui mise tout sur cette dimension « moyenne ». Intitulé Territoires d’avenir, celui qui dans le jargon est appelé le bidbook insiste sur le but « de faire des villes petites et moyennes des lieux où tout le monde a son importance et le ressent ». La référence, explicitée dès le début, est au sentiment de désespoir, de méconnaissance des habitants des territoires ruraux et plus particulièrement des jeunes générations, exprimé dans les émeutes qui ont traversé la province française pendant cette année 2023. Sentiment que la candidature promet de venir contrer, en tournant les caractéristiques des villes « perdantes » (Rousseau, 2008) en potentiel à développer, comme le programme des CEC le veut depuis désormais une bonne trentaine d’années (Smith, 2012 ; Evans, 2011 ; Sacco et Blessi 2007). La crise (toujours) comme point de départ : « Nous ne sommes toujours pas desservis par le TGV, nous avons du mal à attirer les médecins et les prévisions de perte de population d’ici à 2050 sont toujours de l’ordre de 30 % dans le département du Cher, comme pour toutes les villes petites et moyennes de France », avoue le préambule de la candidature (p. 3). Comme souvent dans les candidatures à CEC, plus que sur le patrimoine – par exemple, Bourges est doublement site UNESCO[3] – le récit construit pour l’occasion s’appuie sur les faiblesses du territoire, que l’événement va contribuer à résoudre. L’ambition est alors de tourner cette « petite ville » en « ville de culture », en réalisant un souhait qui, bien que très à la mode aujourd’hui, ne date pas d’hier : en 1964, au moment de l’inauguration de la Maison de la culture de Bourges (l’une des premières), son directeur, Gabriel Monnet, exprimait le vœu de passer d’une politique culturelle fondée sur une logique institutionnelle à une politique culturelle fondée sur une logique urbaine.

La dimension de la participation citoyenne, qui encore en 2013, lors de la dernière CEC à Marseille, paraissait négligée, devient alors centrale : le trait est commun aux candidatures des quatre villes présélectionnées en mars (en plus de Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen) car il répond à l’un des critères d’évaluation du projet. En dix ans, l’implication des habitants a beaucoup évolué dans le programme des CEC, à commencer de Matera-Basilicata 2019, où au moment de la dernière visite avant la désignation le jury fut invité à déjeuner non pas dans un restaurant étoilé, mais chez les familles locales. Dans cette ville du sud de l’Italie, qui fait à peu près la même taille que Bourges, la participation fut l’un des piliers de la programmation de la CEC. La nouvelle élue, qui associe d’ailleurs Matera parmi ses villes partenaires, fait de cet élément l’un des fils rouges de sa proposition, en s’appuyant sur des dispositifs déjà en place – comme les Nouveaux commanditaires ou l’Assemblée citoyenne créée en 2021 – pour le faire évoluer.

L’autre grand axe de la programmation est le rapport avec la nature, décliné en plusieurs projets phare. Cet axe se nourrit de l’apport d’artistes, urbanistes, scientifiques de renom pour repenser la catégorie de « territoire rural » au prisme des multiples transitions (écologique, environnementale, mais aussi sociale) que traversent bonne partie de la France et de l’Europe à l’heure actuelle.

Le projet Gares végétales, par exemple, veut « transformer les gares en espaces de démonstration artistique et environnementale, en nids de comportements positifs et durables capables d’impacter différents publics » (p.13). Les portes d’entrée de Bourges, de Blois et de Paris Austerlitz (qui relie la capitale nationale à la capitale européenne) seront donc investies par les créations de Gilles Clément, Eva Jospin, Rem Koolhaas, JR. En parallèle, ces gares seront aussi le point d’accès aux « réseaux RER bas carbone », des navettes roulant au bio-méthane (ou peut-être, d’ici 2028, des navettes hybrides à l’électricité et l’hydrogène) qui relieront entre eux des sites patrimoniaux, des jardins et des sites naturels selon des itinéraires conçus par le géographe David Moinard et la philosophe Vinciane Despret.

Le choix de Bourges, justifié par la meilleure correspondance du dossier à tous les critères[4], montre à la fois une continuité dans la politique de la CEC – opter pour le territoire « qui en a le plus besoin », comme pour Marseille-Provence 2013 – et une attention renouvelée pour les petites villes et les territoires ruraux, après la phase des grandes métropoles.

Si le choix a été fait, quatre ans de préparation s’ouvrent aujourd’hui. A suivre…

Par Maria Elena Buslacchi
post-doctorante à L’Observatoire des publics et des pratiques de la culture
MESOPOLHIS, UMR 7064 / Aix-Marseille Université
mariaelena.buslacchi@univ-amu.fr

Références bibliographiques

Evans, G. (2011) Cities of Culture and the regeneration game. In London Journal of Tourism, Sport and Creative Industries, 5(6), pp. 5–18.

Rousseau, M. (2008). « Bringing politics back in » : la gentrification comme politique de développement urbain : Autour des « villes perdantes ». In Espaces et sociétés, 132-133, 75-90. 

Sacco, P. et Blessi, G. (2007) European Culture Capitals and local development strategies: Comparing the Genoa and Lille 2004 cases. In Homo Oeconomicus, 24(1), pp. 111–141.

Smith, A. (2012) Events and Urban Regeneration: The Strategic Use of Events to Revitalise Cities, Londres, Routledge.

[1] La référence est au Printemps de Bourges, festival des musiques actuelles né en 1977 et devenu l’un des plus connu en Europe, avec environ 200 000 participants lors des dernières éditions.

[2] Des douze membres, deux étaient français et les autres en provenance de Croatie, Danemark, Finlande, Lituanie, Irlande, Italie, Malte, Pays-Bas et Portugal.

[3] Pour la cathédrale de Saint-Étienne (depuis 1992) et en tant qu’étape du chemin de Compostelle en France (depuis 1998).

[4] Comme l’affirme la présidente du jury Rossella Tarantino, source : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Une-Capitale-europeenne-de-la-Culture-pour-re-imaginer-une-ville-sur-dix-ans