Arles et ses publics

Ce billet est publié suite à la rencontre du 19/12/23  Parlons publics ! où étaient présentées les enquêtes réalisées par l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture et celles à venir

Publics dans la ville d’Arles. Ph : Olivier Quérette / Ektadoc

Depuis juin 2023 et pour une période d’un an, l’Observatoire conduit une enquête qui porte sur les publics des institutions culturelles à Arles. Commandée par la Ville d’Arles, cette étude de publics fait suite à deux précédentes enquêtes publiées en 2007 et 2013[1]. Elle vise à produire un diagnostic et une analyse sociologique des visites d’Arles sur la saison culturelle annuelle, ainsi que de mesurer les transformations du paysage culturel arlésien depuis dix ans. En effet, l’installation de plusieurs fondations d’art contemporain de renommée internationale marque un changement significatif dans l’attractivité de la ville, notamment par la présence continue d’une offre d’art contemporain – plutôt qu’une activité confinée à la période estivale autour du festival Les rencontres de la photographie d’Arles.

Cette étude de publics s’organise en quatre phases d’étude afin de proposer un regard comparatif sur les différentes temporalités de l’année : la très haute saison, la haute saison, la basse saison (ou les « ailes de saison » qui correspondent aux périodes de creux dans l’activité touristique). L’étude répond à un enjeu politique majeur qui consiste, selon Patrick De Carolis maire d’Arles, à « désaisonnaliser » le modèle culturel arlésien[2], c’est-à-dire développer une meilleure répartition de l’activité touristique sur l’année, et également à stimuler des formes de visite davantage qualitatives.

L’ensemble des musées municipaux et départementaux d’Arles[3] ainsi que trois fondations d’art contemporain sont partenaires de l’étude. Une spécificité de cette enquête réside dans le fait d’envisager l’expérience artistique non pas en elle-même (au sein des institutions et des lieux dédiés) mais à partir de l’expérience urbaine, en la replaçant dans la visite de la ville​. En tant que commande publique, cette étude amène à négocier des enjeux scientifiques-épistémologiques – réfléchir aux outils analytiques les plus efficients pour comprendre et éclairer sociologiquement les pratiques de publics dans les lieux d’art et la ville d’Arles – et des intérêts politiques, qui se réfèrent aux visées stratégiques et aux gains d’image pour la Ville.

La méthodologie d’enquête est mixte, à la fois quantitative et qualitative. Des observations ethnographiques et des entretiens à destination de professionnels du secteur et de publics en situation de visite sont mis en œuvre. Par ailleurs l’enquête repose sur un questionnaire qualitatif intitulé « L’offre culturelle arlésienne et vous »[4]. Il est composé en effet de 47 questions qui portent sur l’organisation du séjour à Arles, le parcours dans la région et dans la ville, les pratiques culturelles ou encore l’identité sociale des enquêté.es. La passation du questionnaire s’effectue dans l’espace public, à proximité des lieux partenaires, à l’intérieur des lieux, en somme au sein d’espaces déterminés comme privilégiés, de fort passage (portes d’entrée dans le centre-ville, à proximité de la gare, sur des places publiques, à proximité de parkings, etc.). Le questionnaire est administré de plusieurs manières : la passation directe par tablette (version en ligne), la diffusion de versions papier au sein des lieux partenaires ainsi que l’affichage d’une pancarte avec un QR code qui renvoie à la version en ligne.

Des touristes se prennent en photo en terrasse à Arles, ph : Rémi Boivin 2023

Par cette étude, il s’agit donc d’une part de comprendre les attentes et les motivations des personnes qui viennent visiter Arles et les sites de patrimoine et de culture de la ville. D’autre part, de questionner le rôle des activités artistiques et culturelles dans les transformations urbaines et la mise en tourisme d’Arles : comment l’art et la culture sont saisis comme des outils politiques et des leviers d’attractivité territoriale ? Un autre enjeu de l’étude consiste à recueillir les regards des arlésien.nes sur le processus de touristification d’Arles par la culture, activé d’un côté par le tourisme de masse (sur le modèle de l’excursion, des groupes avec guide, etc.) et de l’autre par un tourisme spécialisé, sur le modèle de l’expert et de l’amateur d’art contemporain. Ce processus est entamé à Arles depuis des décennies, sur la base de l’effet d’attractivité produit en particulier par les labels de patrimoine mondial de l’Unesco et Les rencontres de la photographie[5], puis renforcé plus récemment avec l’installation de nombreuses galeries d’art, de fondations, d’hôtels et de boutiques de luxe, etc.

La question des motivations de la visite d’Arles est parlante quant à la difficulté pour la plupart des visiteurs d’isoler certains traits de la ville plutôt que de la penser dans son ensemble. C’est d’ailleurs la réponse d’une visite générale de la ville comme motivation première qui arrive en tête, devant le patrimoine, puis les musées, puis les lieux d’art contemporain.

Fondation LUMA, ph : Rémi Boivin 2023

L’environnement urbain et culturel d’Arles se caractérise par la juxtaposition de lieux de patrimoine antique, romain, ancien et « traditionnel », et de lieux d’art avant-gardiste « à la pointe ». Arles est en effet à la fois une ville de patrimoine (qui compte de nombreux monuments, sites patrimoniaux et musées, sans oublier les sites naturels de Camargue et les ferias) et une ville qui figure désormais sur la carte des capitales d’art contemporain. On y trouve une volonté politique d’articuler le passé et le futur au sein d’un même parcours de visite (réaliser par exemple des performances artistiques contemporaines dans théâtre antique, etc.) qui se traduit concrètement par la mise à disposition des équipements municipaux pour les associations et les organisations de spectacle vivant.

L’enquête confirme par ailleurs qu’Arles apparaît moins comme une destination en soi, surtout durant la période estivale, qu’en tant qu’étape d’un séjour dans la région. Ce résultat qui relève d’un facteur invariant, s’explique par la localisation d’Arles dans une région fortement pourvue en sites et en villes très touristiques (la Camargue, les Alpilles, Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, etc.)​.

Pour finir, les résultats en cours dessinent une morphologie du séjour à Arles bien spécifique. C’est la forme du court séjour (de 2-3 jours à la journée) et de la visite très occasionnelle qui arrivent en tête. Ce résultat, qui semble également révéler un invariant, questionne sur un choix politique concernant la question de favoriser la visite unique la plus qualitative possible ou au contraire de maximiser un retour potentiel des visiteurs.  

par Rémi Boivin
post doctorant à l’Observatoire des publics et pratiques de la culture

[1] « Étude des publics des musées et sites de la ville d’Arles », Public & culture, nov. 2007 ; « Les publics des monuments et des musées de la ville d’Arles. Enquête qualitative sur les pratiques de visite », Daniel Jacobi et Emilie Pamart, fév. 2013.

[2] Invité sur le plateau de BFM Marseille Provence le 16 novembre 2023 https://www.bfmtv.com/marseille/replay-emissions/marseille-politiques/le-maire-d-arles-veut-developper-un-tourisme-quatre-saisons_VN-202311160883.html

[3] Le Musée Réattu, le Museon Arlaten, le Musée Départemental Arles Antique et le Musée de la Camargue ; Les fondations Vincent van Gogh, Luma et Lee Ufan

[4] https://columbo.univ-amu.fr/index.php/483877?lang=fr

[5] Le festival de photographie d’Arles a été fondé en 1970. Par ailleurs, la ville d’Arles bénéficie d’une double inscription au Patrimoine de l’Unesco : le label « Arles, monuments romains et romans » obtenu en 1981, et celui des « Chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France » obtenu en 1998.