Cartographier la culture scientifique sur un territoire : une perspective depuis Aix-Marseille

Fig. 1 – Maquette de l’escalator mucociliaire conçue à l’hackathon de préparation de la Fête de la science en mai 2023 et puis réalisée pour être exposée à la Fête de la science à l’automne.

Objet d’une politique culturelle volontariste déployée à l’échelle nationale depuis les années 1980 à partir de l’expérience de la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, la culture scientifique a donné naissance à des formes spécifiques et territorialisées dans les différentes régions de l’Hexagone. Si certaines instances, comme l’AMCSTI – réseau national des professionnels des cultures scientifique, technique et industrielle, l’OCIM – Office de coopération et d’information muséales ou Rémedis – réseau de recherche sur la médiation des sciences jouent un rôle indiscutable dans le tissage d’une continuité entre les pratiques et pourvoient de nombreuses situations de partage qui orientent l’action des opérateurs, depuis l’essaimage des propositions de culture scientifique en province et surtout la délégation de la compétence aux Régions en 2013[1], une variété de configurations a vu le jour. Nous en observons les effets par un focus sur le territoire d’Aix-Marseille.

En région Sud, la culture scientifique est pilotée par la Direction de l’attractivité, du rayonnement international et de l’innovation – Service recherche, enseignement supérieur, santé et innovation de la Région. A son initiative s’est créé le réseau Culture Sciences, qui compte 117 membres sur le périmètre considéré[2], 183 en Région Sud. Ces membres ont des statuts assez différents (directions et délégations ministérielles, agences publiques, laboratoires de recherche, composantes ou services universitaires, musées, biblio et médiathèques, associations, individus) et certaines typologies sont largement plus représentées que d’autres – par exemple, les associations (44, soit 38%) et les institutions publiques (25, soit 22%).

Fig. 2 – Répartition des acteurs de la culture scientifique par typologie dans le réseau Culture Sciences (périmètre d’Aix-Marseille Université, incluant Arles – Avignon – Digne-les-bains – Gap – La Ciotat – Aubagne)

Le dessous des cartes

Ces réseaux représentent le circuit institutionnel de la culture scientifique, qui cependant ne nous dit pas tout de la vitalité des formes de médiation qui s’expérimentent sur le terrain à l’initiative de figures comme les chercheurs-citoyens engagés, les chercheurs-amateurs, les anciens doctorants devenus médiateurs (indépendants, dans les musées…), les collectifs plus ou moins éphémères, les associations liées au patrimoine naturel, architectural, artistique… Du point de vue des disciplines, par exemple, si l’on se tenait à ce recensement, on pourrait croire à une excellente – voire exceptionnelle – représentation sur le territoire de la médiation scientifique de l’histoire, présente avec 23 acteurs spécialisés, soit environ le double des acteurs en astronomie (10) ou en science de l’environnement (12). Cependant, d’autres réseaux – tels que, par exemple dans le domaine des sciences de l’environnement le GREC Sud, Groupe régional d’experts sur le climat ou GRAINE PACA, Réseau régional pour l’éducation à l’environnement – nous renseignent sur l’existence d’une pluralité d’acteurs qui, bien que souvent déjà insérés dans des dynamiques institutionnelles, ne sont pas recensés dans la base de données régionale.

Du réseau aux réseaux ?

Ce décalage, immédiatement dévoilé lorsqu’on rentre dans la composition des réseaux et d’autant plus important lorsqu’on observe la réalité de terrain, interroge l’autoreprésentation des différents acteurs comme appartenant ou pas au monde de la culture scientifique – notion depuis le début caractérisée par sa fluidité[3]. De multiples intégrations pourraient être faites au recensement, tant du point de vue des statuts des acteurs que des formats des activités et des disciplines concernées : par exemple, les « gesticulant·es » qui proposent des « conférences gesticulées », les fermes pédagogiques qui proposent des formations en biologie et chimie du sol, ethno-botanique, agronomie et sciences de l’environnement étiquetées sous le nom d’agroécologie, permaculture…

En région Occitanie, l’association tête de réseau Instant’science a tenté de répertorier tous les acteurs qui lui semblaient investis d’une mission de culture scientifique, en les classant selon 3 cercles : 1) ceux dont la mission première est la CSTI 2) ceux qui mènent une action annexe de CSTI 3) ceux qui en font très ponctuellement « ou qui ne se sentent pas concernés alors que nous en sommes convaincus »[4]. L’intérêt d’aller au-delà des réseaux déjà formalisés pour saisir plus largement l’ensemble des opérateurs de la culture scientifique a été formulé à plusieurs reprises par les acteurs – souvent associatifs – qui sont chargés de la coordination de tels réseaux dans les différents territoires[5], et cela souvent dans le but d’associer de nouveaux membres au réseau qu’ils pilotent pour qu’il soit plus complet et représentatif. Les modalités pour cerner tout ce qui « reste en dehors » ne vont toutefois pas de soi : confrontés à la difficulté de satisfaire l’ambition d’exhaustivité, les acteurs ont cherché des stratégies communes à adopter lors d’une journée de travail au Congrès de l’AMCSTI 2019 ainsi que dans une pluralité d’enquêtes à l’initiative de l’OCIM[6].

Du point de vue des publics

L’enquête de l’Observatoire propose de contribuer à l’« impossible » mission cartographique en renversant l’approche, c’est-à-dire à partir de l’expérience du public pour rendre compte de ce qui est identifié comme l’offre disponible en la matière. Pour une région comme PACA, intentionnellement caractérisée par l’absence d’un unique CCSTI (centre de culture scientifique, technique et industrielle) qui centralise les activités, à différence de beaucoup d’autres régions françaises, ce repérage de la géographie de l’offre est d’autant plus important. Quels sont donc ces « lieux totem » que la Région met au centre de l’essaimage de la culture scientifique, tout en manifestant le besoin de mieux les identifier et connaître ?[7]

L’OCIM s’est attelé à une telle cartographie des acteurs qui contribuent au dialogue science et société actualisée au niveau national en 2023 à partir de quelques critères : des structures ouvertes au moins deux jours par semaine, dont l’activité principale est liée à la diffusion de la culture scientifique, qui mettent en place des médiations auprès de publics différents (et pas uniquement adressées aux scolaires, par exemple), et qui n’ont pas de but exclusivement lucratif[8]. Pour venir en complément, comment rendre compte alors des expériences, toujours plus nombreuses, qui sont éphémères, itinérantes, mais pas pour autant moins significatives pour les publics qui y participent ? Comment les catégoriser, comment en comprendre la vitalité et les rapports avec les initiatives institutionnelles ?
En privilégiant un recensement des typologies, des réseaux et l’analyse d’études de cas sur la prétention d’exhaustivité, l’enquête de l’Observatoire propose de contribuer à dresser un état des lieux d’un monde – entre science et société – difficile à saisir, peut-être précisément car en plein bouillonnement.

Découvrez les résultats de l’enquête dans le rapport bientôt disponible sur le site de l’Observatoire

par Maria Elena Buslacchi
socio-anthropologue, post-doctorante à l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture

[1] La « loi Fioraso » du 22 juillet 2013 a opéré le transfert de l’établissement public Universcience aux régions, à compter du 1er janvier 2014, de la gestion des crédits de soutien aux « initiatives territoriales visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics ».

[2] Périmètre d’Aix-Marseille Université, incluant Arles – Avignon – Digne-les-bains – Gap – La Ciotat – Aubagne)

[3] Benoît Godin en parlait déjà en 1993 dans son article « La politique scientifique et la notion de culture scientifique et technique : les aléas politiques d’une idée floue », Recherches sociologiques, XXXIV, 2, 305-327.  

[4] Audrey Bardon, Qu’est-ce qu’animer un réseau des acteurs de la culture scientifique ?, Instant’science, 29/05/2019.

[5] Par exemple, Instant’Science pour la région Occitanie, Astu’Sciences en Auvergne, Cap Sciences en Aquitaine, Ombelliscience dans les Hauts-de-France.

[6] Voir en particulier les enquêtes territoriales réalisées en Grand Est, Centre-Val de Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie.

[7] La volonté de ne pas centraliser les activités de culture scientifique dans un seul CCSTI au profit de plusieurs « lieux totem (…) qui contribuent à l’attractivité culturelle et touristique de territoires souvent éloignés de la production scientifique, (…) vecteurs majeurs pour toucher un large public » est exprimée dans le Schéma régional de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation 2023-28 (p. 37), qui prévoit également la création d’un observatoire de la CSTI en région afin d’améliorer cette connaissance (et interconnaissance) des lieux.

[8] Je remercie Stéphane Chevalier et Max Bouyssières de l’OCIM pour notre échange à ce sujet.