Une Cité à mesure de Bébé
Les règles du jeu sont simples : on se déchausse, on laisse le téléphone dans un casier à l’entrée et on accède – debout, dans les bras ou à quatre pattes – dans un espace feutré, à la découverte de petits univers sonores, tactiles et multicolores. La Cité des Bébés est un espace innovant dédié aux tout-petits et à leurs familles au sein de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. Issu de cinq années d’expérimentation (le Lab de la Cité des Bébés) initié en 2019 par Bruno Maquart, président d’Universcience, ce havre d’éveil et de bien-être a ouvert ses portes de manière permanente en décembre 2024, ayant l’objectif d’offrir un espace de détente favorable au développement sensoriel et psychomoteur des enfants de 0 à 23 mois.
Pascal Decampe, éducateur de jeunes enfants, a suivi le projet dès le départ et nous en raconte la genèse. « On a voulu donner vie à un espace sans écrans ni plastiques, bâti sur les principes de l’auto-construction et du réemploi de matériaux naturels et éco-responsables ». Lors de notre visite, il nous explique qu’il vient du monde du social, pas de la muséologie, et que la forme qu’a pris cet espace est le fruit des tentatives, des trouvailles, des rencontres soit provoquées, soit fortuites et aussi des ratées du « Lab ». « Tout le mobilier et la plupart des accessoires comme les jouets, les mobiles, les modules de parcours ont été construits avec des objets de récupération, et souvent lors d’ateliers avec les parents, sur la base de ce que chacun pouvait apporter, que ce soit en termes d’objet ou de compétences ».
La Cité des Bébés est, en effet, un espace de socialisation et de partage, où les publics sont invités à être actifs. Cette posture se traduit aussi dans la programmation, en partie animée par les médiateurs et les médiatrices à partir de leurs compétences spécifiques – le chant, le théâtre… –, de la collaboration avec la médiathèque de la Cité des sciences et de l’industrie, mais aussi des apports des familles. « Il y a un papa qui sait jouer du balafon, il en a trouvé un dans la tente aménagée au fond et il s’est mis à en jouer, quelqu’un d’autre a improvisé des percussions avec ce que l’on avait à disposition ici et ça a fait un concert auquel au final tout le monde a participé ». La programmation et l’improvisation des contes, des spectacles, sont conjuguées avec une grande liberté et souplesse, de telle sorte que les animations sont adaptées au fur et à mesure aux publics du jour. « Il s’agit aussi d’un lieu d’expérimentation pour les artistes, pour tester des propositions qui vont être ensuite proposés à des crèches » complète Pascal.

Pascal Decampe présente la Cité des Bébés lors du vernissage dans les nouveaux locaux, en décembre 2024 (crédits : Universcience).
Par conséquent, même la frontière entre animation, médiation et co-construction de l’espace n’est pas tout à fait établie : « Il arrive que des objets en papier mâché construit lors d’un atelier deviennent de la décoration… Mais aussi qu’ils soient détruits par la suite lors d’un autre atelier ou moment de jeu ! ». Cette approche est pragmatique plus que théorique, fondée et remise à l’épreuve sur le terrain au jour le jour. « Nous ne nous inspirons pas de manière très directe d’une pédagogie en particulier, toutes ces pédagogies (Montessori, Steiner…) ont nourri le projet de la Cité des Bébés et continuent de l’alimenter, mais les décisions se prennent sur-le-champ, après l’expérience du Lab, auquel on a voulu changer de nom car cela faisait un peu trop scientifique, structuré ».
Les interactions avec la recherche sur le développement psychomoteur des bébés sont pourtant bien présentes : des chercheurs interviennent régulièrement à la Cité des Bébés pour y effectuer des observations et y apporter en retour les résultats de leurs études, pour la plupart conduite au sein du dispositif des BabyLabs, centres d’études des comportements, des connaissances et savoir-faire, des émotions de bébés très jeunes mais aussi d’enfants plus âgés (de 0 à 10 ans). C’est ainsi que l’on découvre, par exemple, qu’un nouveau-né reconnaît et préfère regarder une personne qui lui a préalablement parlé plutôt que si elle a été muette, ou qu’un bébé de deux mois est capable d’accélérer son rythme de succion pour se synchroniser avec un tempo externe, ou qu’un bébé de seize mois reproduit mieux une nouvelle action lorsqu’on le fait rire pendant la démonstration de cette action. Dans cet espace sécurisant et ludique, par choix déconnecté des réseaux numériques, l’éveil n’est pas que pour les bébés…
Par Maria Elena Buslacchi
post-doctorante à L’Observatoire des publics et des pratiques de la culture
MESOPOLHIS, UMR 7064 / Aix-Marseille Université
mariaelena.buslacchi@univ-amu.fr
Pour aller plus loin :
Grinberg, D., Panot, C., Tranchida, F., avec la collaboration de Puzenat, N., Decampe, P. et Bureau, B. (2022). “Un Lab pour une Cité des bébés”. Dans Rayna, S. (dir.), Les bébés au musée Pourquoi ? Comment ? p. 167 -203, érès. https://doi.org/10.3917/eres.rayna.2022.01.0167.
Ce billet est en lien avec l’enquête Les (tout) petits, les arts et la culture à l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Maria Elena Buslacchi (17 mars 2025). Une Cité à mesure de Bébé. Public(s) ISSN 2553-5722. Consulté le 22 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13hmk