Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Le festival Explore 2024 : 7 jours de sciences pour toutes et tous au cœur de Marseille

 

Affiche du festival 2024

 

Introduction

De même que la médiation culturelle il y a quelques années[1], la médiation scientifique traverse aujourd’hui un moment de renouvellement de ses formes et ses objectifs, renouvellement au centre de toutes les rencontres thématiques et de réseau les plus récentes[2]. Les acteurs s’interrogent sur la manière dont ils pourraient toucher des publics jusqu’à présent restés à l’écart des moments forts et des dispositifs classiques de la médiation scientifique, tels que les événements publics (comme la Fête de la science, la Nuit des chercheurs, etc.) ou les rencontres ciblées (par exemple en classe). De nouveaux lieux sont investis, de nouveaux formats sont testés pour aller plus facilement à la rencontre de pratiques culturelles et numériques en évolution et dans un contexte de politiques publiques qui sont passées de la promotion de la « culture scientifique, technique et industrielle » à la « culture scientifique » tout court, jusqu’à l’approche « sciences et sociétés » aujourd’hui adoptée par toutes les instances publiques.

Le CNRS est en première ligne dans ce renouvellement et envisage la conception de nouveaux formats innovants et exploratoires. « Explore » est d’ailleurs le nom d’une nouvelle initiative qui a vu le jour en 2024 à Marseille en collaboration avec Aix-Marseille Université, l’Inserm et Centrale Méditerranée. À l’occasion de la première édition du festival, qui se déroulait du 27 mai au 2 juin 2024 autour du thème « La recherche en train de se faire », l’Observatoire des pratiques et des publics de la culture a mené une enquête sur cette programmation qui se voulait « conviviale, gratuite, festive et décalée »[3] et « proposait plusieurs formats de rencontre dans des espaces « pop-up » physiques dédiés, des lieux emblématiques de Marseille et en déambulation dans toute la ville avec le vélo-sciences. »

Les différents espaces publics et privés

Le festival s’est implanté dans une quinzaine de lieux marseillais, principalement en centre-ville, en proposant des activités sous des formats variés ; speed-searching (discussion en tête à tête avec des scientifiques), mini-conférences, rencontres vidéo, bar des sciences (rencontre autour d’un verre), visites de laboratoire, stands à ciel ouvert, au jardin, en boutique et à la plage, projections lors de ciné-sciences…

Carte des lieux du festival Explore 2024

 

Des lieux attractifs et des lieux désertés

Les stands installés au Centre Bourse avaient pour ambition la rencontre avec des scientifiques à travers des animations interactives : patrimoine et acoustique, jeu sur la guerre des bactéries, quizz sur l’énergie, expériences avec des chimistes…, ainsi que les stands au jardin se tenant à La Citadelle de Marseille et à l’escale Borély. Des espaces privés étaient également investis : un speed-searching s’est tenu à l’espace de coworking Épopée Village et les mini-conférences au tiers-lieu culturel et numérique La Fabulerie le lundi 27 mai. Le lendemain, à la brasserie Zoumaï se tenait le bar des sciences pour imaginer la vie dans les villes de demain autour d’un verre avec des scientifiques. Le mercredi 29 mai, un autre bar des sciences se tenait au café-cantine Twali. Enfin, le samedi 1er juin un « ciné-sciences » proposait le visionnage du film La famille dans tous ses états au cinéma La Baleine.

En termes de fréquentation, ces lieux attirent du public en dehors du festival Explore de manière inégale. Pourtant, la différence entre un lieu « attractif » et un lieu « déserté », si elle se centre essentiellement sur une quantification du nombre de personnes affluentes, manquerait son objectif. Il faut s’intéresser à ce qui fait que ces lieux sont attractifs ou désertés en se posant la question du lieu (est-il bien identifié par les locaux ?), de l’heure (est-ce le moment opportun ?), du temps (conséquences du temps extérieur sur l’affluence ?), du type de public attendu et du dispositif déployé pour le recevoir. Dans les lieux attractifs, nous pouvons classer La Citadelle, qui se caractérise par une ouverture récente, en mai 2024, soit un mois avant le festival. Ce lieu a donc bénéficié d’un effet de « nouveauté » et de sa localisation centrale, de sa qualité de monument et site à visiter, surplombant le Vieux-Port de Marseille. Ainsi, il n’est pas surprenant d’avoir observé une forte fréquentation des stands du festival Explore le samedi 1er juin, le public était déjà présent pour visiter le fort Saint-Nicolas. On observe ici un effet d’entraînement bénéfique au festival.

Le Centre Bourse a été un autre lieu attractif, car il est déjà très fréquenté, notamment le week-end, en tant que centre commercial de centre-ville, situé dans un quartier très animé, proche de nombreux commerces, à proximité du Vieux-Port, le public venant avant tout faire les magasins. De plus, en raison de problèmes techniques, tous les stands qui devaient se tenir dans la journée sur d’autres sites se sont retrouvés finalement dans ce lieu, qui en regroupait ainsi une dizaine. L’effet « marché » s’est ainsi combiné à un effet « de masse », de passage, au vu du nombre de personnes présentes pour des achats.

La brasserie Zoumaï et le café-cantine Twali ont aussi rencontré un fort succès, bénéficiant d’une réputation solide non seulement en tant que lieu festif, mais aussi en tant qu’organisateur d’événements scientifiques depuis longtemps[4]. La Fabulerie a elle aussi accueilli une forte fréquentation, mais avec une caractérisation des publics plus marquée : les mini-conférences ont en effet davantage réuni un public de chercheurs, amis de chercheurs ou jeunes étudiants.

© Eléa Ropiot

Des publics attendus et des inattendus

Pendant toute la durée du festival, nous avons pu constater que les publics « attendus » ont répondu à l’appel : des familles, en balade ou venues faire leurs courses, qui se sont arrêtées sur les stands tenus au Centre Bourse, à La Citadelle ou à l’Escale Borély. Par exemple, un enfant qui participait à un atelier aurait voulu partir avec les modèles de molécules que l’animateur présentait, celui-ci lui a donné un bonbon à la place, pour éviter de le décevoir, ce qui témoigne qu’il avait anticipé cette situation. Le rôle d’orientation des événements scientifiques est réaffirmé dans les attentes des publics : « Je suis venu avec ma fille de 12 ans, déclare un père interviewé au Centre Bourse, mais elle a pas l’air intéressée, je reviendrai avec mon fils qui veut travailler en biotech’, y’a les résultats de Parcoursup ce soir. »

Les publics attendus ne sont pas forcément ceux qui sont venus exprès pour la visite : c’est souvent le lieu qui a été le premier moteur de visite. Par exemple, au Centre Bourse, un homme déclare : « J’avais vu des affiches dehors mais je suis venu pour faire les courses avant tout », et à La Citadelle, une jeune maman nous fait part de son enthousiasme : « C’est génial, très bien expliqué, ils répondent à toutes nos questions, même les plus bizarres, on venait pour le fort mais on s’est arrêté, les enfants sont scotchés. Y’a pas eu assez de com’, faudrait en faire via les réseaux sociaux, les représentations sont concrètes et interactives, c’est super. »

Les réactions des différents publics sont globalement très positives, on observe très peu de rejet à la différence de ce qui peut être constaté lors d’événements culturels ou artistiques qui peuvent traiter de sujets clivants. La rencontre avec la science s’articule plutôt sur le registre de la découverte, voire de l’émerveillement – un père, une mère et leurs trois enfants à La Citadelle partagent avec nous leurs impressions : « C’était super, le casque virtuel, c’est comme si on y était mais c’était très bizarre d’entendre l’extérieur en même temps, c’était très interactif, bien fait pour les enfants. » On retrouve le même enthousiasme aussi dans les autres lieux investis par la programmation, au Centre Bourse, on recueille des témoignages très positivement surpris par la proposition : « C’est inattendu, attractif, ludique, bien expliqué, très attractif pour le tout-venant ! » ; « Je n’étais pas au courant, c’est for-mi-da-ble ! J’ai fait plusieurs stands. » et de même à La Fabulerie, où un groupe de trois jeunes hommes nous assure que : « C’était super cool ! C’est vraiment le format adapté par rapport au lieu, il y a peu de monde mais assez pour que tout le monde puisse poser des questions. Avec le bar en plus, ça fait un lieu très convivial. » Un homme, une femme et leur fils jeune adulte : « Le lieu est génial, ils s’adaptent très bien aux différents publics, ça manque de communication selon le quartier où l’on habite. »

Il y avait aussi quelques groupes d’amis, essentiellement dans les bars lorsqu’ils sont jeunes adultes, et adolescents dans des lieux comme le Centre Bourse. En effet, il s’agissait de jeunes garçons ou de jeunes filles, en groupe ou avec leurs frères et sœurs. Les groupes d’amis étaient plus enclins à avoir une longue discussion, et nous avons pu échanger longuement à la brasserie Zoumaï et au café-cantine Twali.

Les personnes plus âgées croisées sur l’ensemble des évènements partageaient ces sentiments et avaient pour certaines d’entre elles envie d’aider à populariser l’évènement. Une dame interviewée à La Citadelle nous fait part de son point de vue : « C’est génial parce que c’est dans toute la ville, c’est divers, dans les lieux, les types de rencontres. La période est un peu surchargée, ça aurait été bien de proposer ça un tout petit peu avant, peut-être quinze jours avant ou pendant les vacances de Pâques. Pourquoi pas enlever le dimanche et faire ça sur une semaine plus longue de mercredi à mercredi ? Le dimanche, les gens sortent et n’ont pas forcément le temps pour ça. »

Dans quelle mesure le festival Explore a-t-il intercepté également des publics moins habitués à fréquenter des événements de culture scientifique ou a-t-il produit des rencontres fortuites et inattendues ? Certaines personnes rencontrées sur place ont préféré ne pas adhérer à la proposition en raison de différents types de freins. Une partie ne se sentait pas concernées au préalable, elles ont observé l’événement, l’ont approuvé mais n’ont pas forcément voulu aller plus loin : « Pas forcément attirés mais c’est bien présenté, nous explique un couple, on n’est pas forcément à l’aise, on n’est pas le public qui s’intéresse à ça, la proposition est super. »

Mais d’autres rencontres fortuites ont un succès inespéré, une chimiste animatrice nous raconte sa rencontre avec un public inattendu : « Y’a même un couple de femmes punk (style stéréotypé « punk à chien ») qui est venu me voir un long moment et on a parlé de drogues, de comment faire pour purifier leurs drogues… Du coup, elles vont peut-être revenir me demander de l’aide ! [rires] On croise tout le monde, c’est bien ! » Deux jeunes touristes originaires des États-Unis visitaient Marseille et se sont arrêtées aux stands d’Explore au Centre Bourse, elles ont trouvé l’événement innovant, amusant et interactif : « The event is cool, it’s interactive, yeah that’s really funny, the anim are using simple terms and the models are really innovative ! » Une jeune femme à l’Épopée Village s’est laissé séduire par la programmation rencontrée par hasard : « C’est pas du tout ce que je voulais faire mais c’est trop bien, y’a d’autres évènements ? » Si peu de rejet et d’opposition a été constaté, les rencontres inattendues n’ont pas toujours donné lieu aux interactions et au partage souhaité. On évoquera à ce propos le cas d’un échange « manqué » à la brasserie Zoumaï entre les intervenants et un monsieur d’à peu près 70 ans, dont les questions ont été considérées comme « décalées ». À deux reprises, il avait posé des questions en dissonance par rapport aux compétences des chercheurs intervenants sur le sujet « Imaginez la vie dans les villes de demain autour d’un verre avec des scientifiques en chimie, biologie et ingénierie », et cela a mis en évidence le fait que de potentielles interruptions n’étaient pas anticipées par l’organisation. Il a tout d’abord demandé : « Et du coup combien de temps il nous reste ? », question que les intervenants ont choisi d’ignorer, la personne qui gérait les prises de paroles ayant rapidement dirigé le micro vers une autre personne. Vers la fin de la rencontre, l’homme s’est rapproché et a tenté de reposer une question à laquelle il n’a pas reçu de réponse : déçu par la situation, il a préféré partir. Certaines personnes présentes dans le public ont qualifié le vieil homme de « sénile » en disant qu’« il n’aurait pas dû pouvoir approcher les animateurs ni poser de question ». La brasserie Zoumaï a été mise en cause et il a été mentionné qu’un agent de sécurité ne serait pas de trop dans ces cas-là. Cela pose la question des publics en espace public et des contradictions implicites dans le souhait de vouloir intéresser tous les publics, sans que les intervenants soient préparés à gérer le malaise ou l’inconfort qu’ils peuvent expérimenter vis-à-vis de certaines réactions que leur discours peut susciter.

Photo prise depuis la grande roue installée au rond-point du Prado © Eléa Ropiot

Un évènement qui se teste, un format qui suscite satisfaction et intérêt

Si l’évènement n’a pas forcément toujours trouvé un public en nombre, il est évident qu’il a suscité une certaine satisfaction et un intérêt important, ainsi que la curiosité ou la promesse d’un engagement à venir. « C’est génial, mais c’est trop court, j’ai adoré ! Vous allez en faire d’autres ? » nous demande un homme à l’Épopée Village. Si la communication reste à développer selon plusieurs participants, le fait de pouvoir échanger avec des chercheurs en petits effectifs, sans les effets de masse typique d’autres événements de ce type, et sur un temps court, représente en soi un levier de participation.

Au café-cantine Twali, deux femmes âgées nous expliquent que ce format leur a permis d’expérimenter sans avoir le sentiment de s’engager sur une durée trop longue, et leur a ainsi donné envie de revenir : « J’ai vu passer un bus avec une affiche et je suis allée sur internet chercher. Avant-hier, on est allées à La Fabulerie, et ça nous plaît beaucoup. Le fait que ça soit un quart d’heure d’intervention c’est bien parce que c’est assez pour comprendre et assez petit pour que si ça ne nous intéresse pas, on n’ait pas envie de partir. Mon amie a reçu une newsletter. L’information est légère, ça manque de publicité, c’est dommage, c’est intéressant, mais c’est top ! » On constate cette même envie de revenir auprès de publics différents, par exemple un groupe de jeunes étudiants qui nous dit : « On a connu par des flyers, le lieu est trop bien, on est tous en licence à la fac. Pour des non-initiés, on trouve ça difficile à suivre, y’avait la première intervenante qui était très pédagogue mais les deux autres pas trop. On a vachement envie d’aller voir d’autres choses en tout cas. »

Conclusion

En conclusion de cette enquête sur la première édition du festival Explore, nous pouvons retenir l’importance du cadre et du lieu : « agréable », « convivial », « lieu parfait pour ce genre d’événement », « le bar fait que c’est encore plus agréable, on peut aussi commander à manger donc on se sent à l’aise » ; des conditions favorables déterminées par les petits effectifs et par le choix de ne pas vouloir systématiquement attirer un grand nombre de personnes : « y’a pas trop de monde » ; ce qui permet de privilégier des interactions ajustées : « bien expliqué pour les enfants », « ça donne un autre regard sur la science ».

Le festival Explore reviendra pour une deuxième édition, sur cinq jours cette fois-ci, du 10 au 15 juin 2025, avec « plus de 80 scientifiques [qui] viennent à la rencontre des Marseillaises et Marseillais à travers des activités ludiques et interactives. L’occasion de plonger au cœur de la recherche et d’explorer son impact sur notre quotidien ! »

Et de découvrir quelles nouvelles formes aura pris la médiation scientifique ?

Cette synthèse a été finalisée par les membres de l’Observatoire
sur la base des observations de
Fabio Bugelli – Master 2 sociologie.


[1] Chaumier, S. et Mairesse, F. (2013). « Le renouveau des formes », dans La médiation culturelle, p. 115 -146. Paris, Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.chaum.2013.01.0115

[2] Par exemple, la journée Remédis du 6 mars 2025 La médiation scientifique à l’épreuve du changement. Quel apport de la recherche dans l’évolution des pratiques et des métiers ? était consacrée à la réflexion sur le rôle de la médiation scientifique face aux transformations sociétales. Comment suit-elle l’évolution des sensibilités ? Comment accompagne-t-elle les politiques publiques ? Quelles évolutions voit-on dans les compétences et les postures ? https://www.universcience.fr/fr/professionnels/remedis/actualites/journee-remedis-2025

[3] Site web du Festival : https://explore.univ-amu.fr/

[4] https://www.echosciences-paca.fr/evenements/bar-des-sciences-pression-hyperbar-2


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Publics (21 mars 2025). Le festival Explore 2024 : 7 jours de sciences pour toutes et tous au cœur de Marseille. Public(s) ISSN 2553-5722. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13jbo


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.